1. Le CBD : c’est quoi ?
a. Définition.
Le CBD (ou cannabidiol) est un cannabinoïde présent dans le chanvre (en latin, cannabis), notamment connu pour ses vertus de bien-être. Le CBD n’a pas d’effets psychotropes contrairement au THC (ou tétrahydrocannabinol), autre molécule très connue du chanvre. Le THC agit sur le cerveau et peut provoquer des difficultés de concentration, un changement dans la perception, dans l’humeur, de l’anxiété.
En France, le cannabis contenant du THC est considéré comme illégal. La réponse est moins évidente pour le CBD.
b. Ce qu’en dit l’Organisation Mondiale de la Santé.
Le 19 décembre 2017, l’OMS a publié un rapport sur le CBD qui a conclu qu’« à l’état pur, le cannabidiol (CBD) ne semble pas présenter de potentiel d’abus, ni être nocif pour la santé ». Par conséquent, il a été décidé que le CBD ne serait pas classé au niveau international comme une substance à part entière (uniquement considéré comme composé d’extrait de cannabis) signifiant alors l’absence de contrôle international strict sur cette substance et laissant la définition de son statut juridique aux « législateurs nationaux ».
Cependant, l’OMS est prudente et ne recommande pas l’usage du CBD à des fins médicales, mais se contente de mettre en avant des études qui « montrent que son utilisation pourrait avoir des vertus thérapeutiques pour les crises dues à l’épilepsie et à des pathologies associées ».
Le 18 juillet 2018, dans une lettre adressée au secrétaire général de l’ONU, l’OMS a présenté un compte rendu de la quarantième réunion du Comité OMS d’experts de la pharmacodépendance consacrée à l’examen du cannabis et les substances qui le compose.
Concernant le CBD, le Comité recommande que « les préparations considérées comme étant du CBD pur ne soient pas inscrites aux tableaux des Conventions internationales relatives au contrôle des drogues ». Pour rappel, les Conventions internationales des Nations Unies relatives au contrôle des drogues de 1961, 1971 et 1988 ont inscrit le cannabis et le THC comme étant des stupéfiants.
2. La législation française
C’est une loi du 12 juillet 1916, faisant suite à l’adoption de la Convention internationale de la HAYE signée le 23 janvier 1912, qui a intégré la notion de « stupéfiant » en droit français. Un décret d’application est venu classer les substances vénéneuses en 3 tableaux : celles faisant parties des produits toxiques ; celles faisant parties des stupéfiants ; celles faisant parties des produits dangereux.
Ces catégories ont été supprimées par un décret du 29 décembre 1988 qui introduira un article L5132-1 dans le Code de la Santé Publique lequel qui met en place un système de liste des substances vénéneuses. Ainsi, les substances stupéfiantes sont considérées comme telles.
Plus précisément, un arrêté du 22 février 1990 vient établir une liste « des substances classées comme stupéfiants ».
a. Le droit avant le 31 décembre 2021
L’arrêté applicable en matière de culture, importation, exportation et utilisation industrielle et commerciale du CBD était celui en date du 22 août 1990 (abrogé depuis l’arrêté du 31 décembre 2021 exposé ci-dessous) qui limitait ces procédés aux seules fibres et graines des plantes de cannabis et respectant les conditions suivantes :
- la teneur en THC de ces variétés n’est pas supérieure à 0,20 % ;
- la détermination de la teneur en THC et la prise d’échantillons en vue de cette détermination sont effectuées selon la méthode communautaire prévue en annexe ;
Le 19 novembre 2020, la Cour de Justice de l’Union Européenne a été amenée à statuer sur la conformité de l’arrêté du 22 février 1990 avec le droit de l’Union Européenne.
En l’espèce, en 2014, une cigarette électronique dont le liquide contenait du CBD « KANAVAPE » avait été lancée sur le marché français et était présentée comme respectant les dispositions légales en respectant le taux maximal autorisé de THC (inférieur à 0,2%). Le CBD contenu dans les e-cigarettes était légalement cultivé en République Tchèque et importé en France. Une procédure pénale avait été engagée à l’encontre des dirigeants de la société. Le Tribunal Correctionnel de Marseille les avait condamnés à la fois sur le plan civil et sur le plan pénal. Un appel a été interjeté et la Cour d’Appel de Marseille a posé une question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union Européenne.
Dans l‘arrêt « KANAVAPE » , la Cour de Justice de l’Union Européenne a considéré, sur la base des conventions internationales applicables et les connaissances scientifiques actuelles, que l’huile de CBD n’était pas un produit stupéfiant. Dès lors, au vu du principe de la libre circulation des marchandises, applicables au produit en cause, la législation française constituait une entrave à ce principe.
Sur la base de cette décision, la France a dû réagir, et les travaux interministériels ont débuté.
Entre temps, le Ministre de la Justice a publié une circulaire le 27 novembre 2020 indiquant l’impossible sanction de la commercialisation des produits contenant du CBD, sauf à ce qu’ils contiennent une forte dose de THC. Cette circulaire interdit aussi la publicité présentant le CBD comme un produit stupéfiant, ou comme un médicament.
Deux arrêts rendus pas la Cour de cassation concernent la commercialisation du CBD :
- Arrêt du 15 juin 2021. La Cour de Cassation y considère que : « l’interdiction, même provisoire, de la commercialisation de produits contenant du cannabidiol ne pouvait être ordonnée en l’absence de preuve que les produits en cause entraient dans la catégorie des produits stupéfiants » . Il semblerait que la portée de cet arrêt soit limitée.
- Arrêt du 23 juin 2021. La Cour de cassation y reprend la décision de l’arrêt KANAVAPE et indique qu’il est nécessaire de rechercher si les produits en cause « n’avaient pas été légalement produites dans un autre Etat membre de l’Union européenne » .
b. Le droit après le 31 décembre 2021
En premier lieu, l’arrêté du 31 décembre 2021 abroge l’arrêté du 22 août 1990.
Que prévoit cet arrêté ?
Il autorise principalement « la culture, l’importation, l’exportation et l’utilisation industrielle et commerciale des seules variétés de Cannabis sativa L., dont la teneur en THC n’est pas supérieure à 0,30 % » . Le niveau de THC a donc été réhaussé. Au deçà, il est considéré comme n’ayant pas de propriété stupéfiante.
Cependant, cet arrêté interdit, notamment, « la vente aux consommateurs de fleurs ou de feuilles brutes sous toutes leurs formes, seules ou en mélange, avec d’autres ingrédients, leur détention par les consommateurs et leur consommation » .
Ces restrictions sont justifiées par des motifs d’ordre public et de santé publique.
- Motif d’ordre public : les fleurs et fleurs brutes comportent une plus forte dose de THC que dans la plante de cannabis (possiblement détectable lors des contrôles salivaires par exemple), et rendrait donc la lutte contre les stupéfiants plus compliquée.
- Motif de santé publique : il y a toujours des incertitudes concernant les effets du CBD sur la santé car certaines études ont pu démontrer que le CBD pouvait agir sur le cerveau pouvant provoquer des effets psychoactifs. En outre, les risques sont plus importants lorsque l’on fume.
Source : la MILDECA (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives) : https://www.drogues.gouv.fr/actualites/cbd-nouvel-arrete-paru
Que dit le Conseil Constitutionnel ?
Une question préjudicielle de constitutionnalité a été posée au Conseil constitutionnel par l’Association des producteurs de cannabinoïdes.
Le 7 janvier 2022, le Conseil Constitutionnel a précisé la notion de produit stupéfiant : « la notion de stupéfiants désigne des substances psychotropes qui se caractérisent par un risque de dépendance et des effets nocifs pour la santé » .
Le Conseil Constitutionnel a ajouté qu’ « il appartient à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge, de procéder à ce classement en fonction de l’évolution de l’état des connaissances scientifiques et médicales » .
Qu’en dit le Conseil d’Etat ?
Le 24 janvier 2022, le Juge des Référés du Conseil d’État a suspendu, à titre provisoire, l’interdiction de commercialiser à l’état brut des fleurs et feuilles de chanvre.
La Haute Juridiction administrative avait été saisie par divers acteurs de la filière afin de suspendre l’arrêté du 31 décembre 2021 interdisant la vente et la consommation de fleurs et feuilles de chanvre.
Dans son ordonnance, le Conseil d’État a estimé qu’ « il ne résulte pas de l’instruction, à la date de la présente ordonnance, que les fleurs et feuilles de chanvre dont la teneur en THC n’est pas supérieure à 0,30 % revêtiraient un degré de nocivité pour la santé justifiant une mesure d’interdiction générale et absolue de leur vente aux consommateurs et de leur consommation, cette teneur étant d’ailleurs celle retenue par l’arrêté contesté lui-même » .
Un communiqué de presse accompagne cette décision et précise qu’ « en attendant que le Conseil d’État se prononce définitivement au fond sur la légalité de l’arrêté contesté, le juge des référés suspend à titre provisoire l’interdiction contestée ».
Pour en savoir plus : L’interdiction de vendre à l’état brut des fleurs et feuilles provenant de variétés de cannabis sans propriétés stupéfiantes est suspendue (conseil-etat.fr)
Finalement le Conseil d’Etat, dans une décision en date du 29 décembre 2022, a annulé partiellement l’arrêté du 30 décembre 2021 et notamment les dispositions suivantes :
- celle visant à restreindre l’utilisation de la plante entière à la production d’extraits de chanvre et interdisant, de ce fait, la commercialisation de fleurs et feuilles brutes ;
- celle prévoyant la conclusion d’un contrat entre producteur et acheteur.
Il rappelle que le CBD ne peut être considéré comme un produit stupéfiant et que, selon les Experts, il ne présenteraient pas de « risques pour la santé publique justifiant une mesure d’interdiction générale et absolue de leur commercialisation et la restriction de leur récolte, importation et commercialisation à des fins de production industrielle d’extraits de chanvre »
Un des éléments avancés par les Ministres tenait à la protection de « l’ordre public et aux risques pour la santé publique que présentent d’autres variétés de cannabis d’aspect similaire ». Le Conseil d’Etat indique que même si « la circulation des fleurs et feuilles de variétés de cannabis dépourvues de propriétés stupéfiantes, par leur ressemblance avec les fleurs et feuilles issues de variétés de cette plante présentant des propriétés stupéfiantes, compromettrait l’efficacité de la politique de lutte contre les stupéfiants et notamment le dispositif d’amende forfaitaire délictuelle prévu au troisième alinéa de l’article L. 3142-1 du code de la santé publique applicable en cas d’usage illicite de stupéfiants », il existe des « tests rapides et peu coûteux permettant d’identifier celles consommées pour leurs propriétés stupéfiantes ». Ainsi, la restriction de l’utilisation des fleurs et feuilles des variétés présentant une teneur en THC inférieure à 0,30 % à la seule production industrielle d’extraits de chanvre n’est pas justifiée.
Actuellement, des travaux interministériels sont engagés pour modifier l’arrêté du 30 décembre 2021 à la lumière de la décision du 29 décembre 2022.
Pour en savoir plus : Décision du Conseil d’État du 29 décembre 2022 | MILDECA (drogues.gouv.fr)
Outre ces discussions concernant la refonte de l’arrêté du 30 décembre 2021, un décret du 17 février 2022 est venu modifier l’article R5143-86-1 du Code de la santé publique sans pour autant le remettre en cause. En effet, « la production, y compris la culture, la fabrication, le transport, l’importation, l’exportation, la détention, l’offre, la cession, l’acquisition et l’emploi » demeurent interdites.
Les dérogations traditionnelles sont reprises à savoir :
- « la culture, l’importation, l’exportation et l’utilisation, à des fins industrielles et commerciales, de variétés de Cannabis sativa L. dépourvues de propriétés stupéfiantes ou de produits contenant de telles variétés sont autorisées par arrêté des ministres chargés de l’agriculture, des douanes, de l’industrie et de la santé » (nouvel article R5143-86-1 du Code de la santé publique)
- pour des « fins de recherche et de contrôle par le directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé« .
Le décret du 17 février 2022 vient étendre le régime des dérogations pour « la production, y compris la culture, la fabrication, le transport, l’importation, l’exportation, la détention, l’offre, la cession, l’acquisition et l’emploi » à des fins médicales (article R5143-86 du Code de la santé publique).
Il s’agit d’une véritable innovation dans le cadre de l’expérimentation nationale relative à l’usage du cannabis à des fins médicales, les médicaments fabriqués provenaient, avant ce décret, d’Etats étrangers.
Récemment, la Cour de cassation, dans un arrêt du 21 juin 2023, précise que l’infraction de conduite sous stupéfiant est constitué s’il est établi que le prévenu a conduit un véhicule après avoir fait usage d’une substance classée comme stupéfiant, en l’espèce du CBD, qui contient du tétrahydrocannabinol et ce, peu importe la dose absorbée.
La Cour de cassation justifie sa décision par le fait que, l’article L.235-1 du Code de la Route, « incrimine le seul fait de conduire après avoir fait usage de stupéfiants, cet usage étant établi
par une analyse sanguine ou salivaire, peu important que le taux de produits stupéfiants ainsi révélé soit inférieur au seuil minimum prévu par l’arrêté, en vigueur au moment des faits, fixant les modalités du dépistage des substances témoignant de l’usage de stupéfiants, qui est un seuil de détection et non un seuil d’incrimination »
Ainsi, ce n’est pas parce-que le CBD est autorisé à la vente, qu’il l’est à la conduite.